Roland Beyen, le spécialiste incontesté de notre auteur, a très tôt compris que "la correspondance de Ghelderode remettait en question tout ce qu'on croyait savoir de sa vie et de sa personnalité et qu'elle permettait de rétablir la chronologie de son œuvre". 
 
Le dramaturge se révèle un épistolier prolixe : il doit avoir écrit environ 20.000 missives destinées à plus de 1.000 correspondants C'est au début des années 1980 que le professeur Beyen conçut le projet titanesque de retrouver, classer et analyser les milliers de lettres et cartes postales adressées par ou à Ghelderode en vue de leur édition critique.
 
 
 
C'est au début des années 1980 que le professeur Beyen conçut le projet titanesque de retrouver, classer et analyser les milliers de lettres et cartes postales adressées par ou à Ghelderode en vue de leur édition critique. 
 
Le résultat de ce travail scientifique, reconnu comme un chef d'œuvre du genre et primé par l'Académie, est édité dans la collection "Archives du Futur" par les Editions Labor et les Archives et Musée de la Littérature, avec l'aide de la Communauté française de Belgique. 
Six tomes sont d'ores et déjà parus, le septième est en préparation. Au total, une dizaine de volumes sont prévus, proposant une importante sélection de lettres parmi l'ensemble de celles qui ont été retrouvées. 
 
Chaque volume comporte une introduction, une présentation chronologique des lettres adressées par ou à Ghelderode, des notes précises et éclairantes pour chacune d'entre-elles. On y trouve aussi un répertoire des correspondants avec leurs notices bio-bibliographiques, des précisions sur les relations qu'ils entretenaient avec Ghelderode. 
 
 
(Sélection de 170 lettres écrites par Ghelderode et 92 reçues par lui, de mars 1919 à décembre 1927) 
Ce premier tome s'attache à l'époque où le jeune autodidacte Adémar Martens s'efforce de devenir Michel de Ghelderode. On y découvre un écrivain cherchant encore son style et participant activement à la vie artistique et littéraire belge, mais aussi un épistolier en herbe s'adaptant, tel un caméléon, à la psychologie de chacun de ses correspondants. Parmi ceux-ci, on rencontre des hommes qui ont joué un rôle important à cette époque de sa vie et que l'auteur s'est efforcé de bannir de sa biographie, comme Hervé Ameels. 
 
 
(Sélection de 249 lettres écrites par Ghelderode et 148 reçues par lui, de janvier 1927 à décembre 1931) 
Le deuxième tome permet de suivre l'évolution de la collaboration entre Ghelderode et le Vlaamsche Volkstooneel. Marcel Wyseur, le poète brugeois, devient l'ami le plus cher de l'auteur. Avec lui, Ghelderode découvre l'amitié désintéressée et le plaisir d'écrire et de recevoir des lettres. Il correspond aussi avec d'autres poètes : Paul Neuhuys, Henri Vandeputte, Gaston Pulings, Georges Marlow et s'écarte progressivement du critique dramatique Camille Poupeye qui a joué un rôle capital dans ses débuts de dramaturge en 1924-25. 
 
 
(Sélection de 224 lettres écrites par Ghelderode et 76 reçues par lui, de janvier 1932 à décembre 1935) 
Le troisième tome retrace la fin de la collaboration du dramaturge avec le Vlaamsche Volkstooneel et ses premiers succès dans les théâtres francophones de la capitale. Ces succès et la notoriété naissante ne sont sans doute pas à la hauteur de ses attentes car Ghelderode s'éloigne de la vie littéraire et artistique pour se recentrer sur ses meilleurs amis : Marcel Wyseur, Henri Vandeputte, Paul Neuhuys, Marie Gevers, Robert Guiette, Gaston Pulings et le peintre Prosper De Troyer. Il noue cependant de nouvelles relations avec Franz Hellens, Jean Stiénnon du Pré et le graveur Jac Boonen. Il entre aussi dans sa période la plus créatrice et, soutenu par l'amitié chaleureuse de quelques-uns, il se sent prêt à écrire de grandes choses dans le silence et la solitude qu'il s'impose volontairement. 
 
 
(Sélection de 262 lettres écrites par Ghelderode et 68 reçues par lui, de janvier 1936 à décembre 1941) 
Le quatrième tome s'ouvre sur la période créatrice la plus intense du dramaturge qui compose trois grandes pièces en six mois au cours du premier semestre 1936. Avec enthousiasme et conviction, il décide de s'attaquer au projet de Fastes d'enfer qui le hante depuis 1929. Soudain, le 22 octobre, il tombe malade et doit patienter plus d'un an avant de trouver la force de terminer l'œuvre. Cette expérience pénible le convainc de redevenir un conteur. Il commence à composer les remarquables Sortilèges. Puis arrive la guerre. Pour survivre, il accepte, en avril 1941, de rédiger une chronique folklorique hebdomadaire pour Radio-Bruxelles, contrôlée par l'occupant. Ghelderode connaît de fréquentes crises d'angoisse. Il trouve un certain réconfort dans le courrier échangé avec ses amis fidèles et avec quelques nouveaux correspondants : Louis De Winter, Daniel van Damme, Jean-Marie Culot et Maurice Carême. 
 
 
(Sélection de 191 lettres écrites par Ghelderode et 76 reçues par lui, de janvier 1942 à décembre 1945) 
Le cinquième tome concerne la période la plus controversée de la vie de l'écrivain, celle de ses chroniques sur les ondes de Radio-Bruxelles, dont une centaine ont été rassemblées et publiées en 1943 sous le titre Choses et gens de chez nous. L'état de santé de l'auteur se détériore gravement pendant les années de guerre. Ses crises d'asthme l'épuisent et entraînent des phases d'intense dépression. Les accusations de collaboration portées contre lui et la procédure qui aboutira finalement à le laver de l'opprobre laisse Ghelderode dans un état d'extrême détresse. Il se débat pour se faire réhabiliter avec l'aide de Marie de Vivier, Franz Hellens, Camille Poupeye, Marcel Wyseur et Paul-Aloïse de Bock, son avocat. 
En plus de la correspondance, Roland Beyen a publié dans ce volume de nombreux documents pour permettre au lecteur de se forger une idée personnelle sur l'attitude du dramaturge pendant et après la guerre en s'appuyant non plus sur les rumeurs, mais des faits et des textes. 
 
 
(Sélection de 203 lettres écrites par Ghelderode et 87 reçues par lui, de janvier 1946 à décembre 1949) 
Le sixième tome évoque essentiellement la découverte du théâtre ghelderodien par les jeunes compagnies parisiennes de l'après-guerre. Tout commence en juin 1947 quand André Reybaz et Catherine Toth montent Hop Signor !. En décembre 1948, René Dupuy et Michel Vitold triomphent dans Escurial et sept mois plus tard le Myrmidon de Reybaz-Toth et la Compagnie Roger Iglésis sont classés respectivement premier et troisième au prestigieux concours des jeunes compagnies, avec Fastes d'enfer et Mademoiselle Jaïre. La reprise de Fastes d'enfer au Théâtre Marigny provoque un violent scandale qui constitue, de l'avis de certains critiques, la "bataille d'Hernani" de Michel de Ghelderode en même temps qu'un moment-clé de l'histoire du théâtre. 
Les lettres de Ghelderode reflètent son état d'esprit durant toute cette période de revanche parisienne après "la persécution haineuse" de la Belgique. L'épistolier, amer et plaintif lorsqu'il évoque sa santé déficiente et sa situation financière catastrophique, laisse éclater ses rires sardoniques lorsqu'il fait part de ses succès dans la capitale française.