En général, les auteurs affichent une certaine pudeur à l'égard de leurs sources d'inspiration et des influences qu'ils ont pu subir. Ghelderode n'échappe pas à la règle. Nous évoquons ici, fort brièvement et en marge des influences liées à ses lectures (voir la rubrique Goûts), quelques cas de contemporains qui, peu ou prou, ont su marquer l'auteur débutant. 
 
Il n'est pas innocent que la première pièce de Ghelderode ait pour titre La Mort regarde à la fenêtre. Ce premier essai d'écriture dramatique était délibérément inspiré de l'œuvre tourmentée d'Edgar Allan Poe à qui le jeune Ghelderode vouait une vive admiration.
 
 
 
 
 
Georges Eekhoud (1854-1927).
Selon Roland Beyen, Ghelderode a beaucoup exagéré sa dette à l'égard de Georges Eekhoud (1854 - 1927), romancier, conteur, essayiste, journaliste, critique d'art. Il n'est pas impossible qu'il ait vu - et ressenti - un parallèle entre sa propre détresse lorsque, à la Libération, il fut mis à pied par l'administration communale de Schaerbeek pour collaboration, et les avanies qu'Eekhoud eut à subir au lendemain de la première guerre mondiale. Pensant sans doute à lui-même, Ghelderode écrit à propos de son maître : "Persécuté, il le fut par-delà toute mesure. Quand les Belges se mêlent d'être salauds, ils font merveille. Le Belge est salisseur par tempérament, dénonciateur par vocation, mouchard par vice, venimeux par mysticisme, produit enfin, sous-produit d'infinis concubinages de peuples. Eekhoud fut et reste la victime froide du Belge."
 
Charles Julien Van Der Does (1886 - 1974), marchand de tableaux et littérateur excentrique, qui se faisait appeler Julien Deladoès, exerça une influence certaine sur le Ghelderode des débuts. Qu'on en juge par cette lettre que Ghelderode écrit à son ami le 24 juillet 1920 : "Toi que je regarde comme un génie très puissant, de vieille race et méconnu des canailles, je t'envoie mon salut fraternel, car tu es l'aîné, le plus fort, et l'éducateur de ma pensée". Deladoès fit découvrir au jeune Ghelderode le peintre James Ensor, mais aussi les graveurs Félicien Rops et Jules De Bruycker, Alfred Jarry, Laforgue, etc. Il lui fit aussi découvrir Paris en 1919. Dès 1928, leur relation tourna à la dispute, à propos, notamment, de lettres anonymes. Ghelderode cessa d'écrire à Deladoès. Ce dernier tenta, vainement, de rétablir le contact. 
 
L'influence qu'exerça sur le jeune Ghelderode l'archéologue, essayiste et critique d'art Camille Poupeye (1874 - 1963) fut décisive. Plutôt attiré, dans les années '20, par les beaux-arts et la littérature, Ghelderode ne songeait guère à entamer une carrière de dramaturge. S'il est établi qu'il vint au théâtre par l'intermédiaire des marionnettes, les articles de Camille Poupeye, pour lesquels Ghelderode se passionna, jouèrent un rôle déterminant.
 
 
Jean-Jacques Gailliard, 
Le Baron Saturne. Julien de la Doës, 1917, huile sur toile (78,5 x 58,5 cm). Collection privée. Avec l'aimable autorisation de mesdemoiselles Geneviève et Isabelle Gailliard.
 
De par l'analogie des thèmes, des situations et, surtout, des procédés, quelques pièces de Ghelderode telles que Trois acteurs, un drame… ou Sortie de l'Acteur, font immanquablement penser à Luigi Pirandello. Il en va de même concernant des pièces comme Don Juan, La Mort du docteur Faust et Escurial où le statut des personnages centraux est délibérément ambigu, mal défini, quand il n'est pas à double fond, voire interchangeable.
 
 
Charles De Coster (1827-1879).
 
On a beaucoup écrit sur les affinités qui semblent exister entre Ghelderode et Antonin Artaud. Le Théâtre de la cruauté trouve en effet un écho particulier dans les mots prononcés par Folial, au terme de L'École des Bouffons. Il convient toutefois de se montrer particulièrement circonspect : s'agit-il d'influence ou d'une simple concomitance ? 
 
On peut, bien entendu, trouver dans l'œuvre riche et abondante de Ghelderode des influences diverses comme, par exemple, celle de Charles Baudelaire qu'y a décelé Juliette Decreus, ou celle de William Shakespeare (d'aucuns allèrent jusqu' à considérer Ghelderode comme un "Shakespeare moderne" !), ou encore de Maurice Maeterlinck (les premières pièces), sans oublier Charles De Coster, etc.
 
Côté plastique, c'est désormais un lieu commun que d'associer le théâtre de Ghelderode aux peintres Bruegel, Bosch ou Ensor (Voir la rubrique Goûts). 
En matière d'influences, il convient également d'évoquer celles, plus générales, du folklore auquel Ghelderode se référa à maintes reprises (kermesse, ommegang, bernement, etc.), de la Flandre des XVIe et XVIIe siècles qu'il utilisa comme toile de fond pour ses pièces "historiques", mais aussi du rituel religieux qu'il affectionnait : cloches, encens, processions… 
 
Ouvrages ou articles à consulter : 
 
  • David I. Grossvogel, Le Bruit et la Couleur (article), in Marginales. Ghelderode, nos 112-113, mai 1967, Bruxelles, pp. 98-102. 
  • Stephen A. Canfield, Cruauté, langage et mise en scène : théorie et technique artaudienne dans " L'École des bouffons " de Michel de Ghelderode (article), in Revue d'Histoire du Théâtre, 39e année, 1987, Société d'Histoire du Théâtre, Paris, pp. 209-218. 
  • Anca Maniutiu, L'École de la cruauté (article), in Michel de Ghelderode… Trente ans après, (actes du troisième Colloque international de Cluj-Napoca : 22-24 octobre 1992), Rodica Lascu-Pop et Rodica Baconsky, Cluj-Napoca, 1995, pp. 185-194. 
  • Roland Beyen, La Flandre de Ghelderode (article), in Le Journal des Livres, n° 7, octobre 1982, Ghislain Cotton, Braine-le-Château, pp. 9-10. 
  • Jean Francis, Le Folklore, source d'inspiration de Ghelderode (article), in Michel de Ghelderode, dramaturge et conteur, (actes du Colloque de Bruxelles : 22-23 octobre 1982), Éditions de l'Université libre de Bruxelles, Bruxelles, 1983, pp. 119-128. 
  • Dinu Cernescu, Ghelderode et Shakespeare (article), in Michel de Ghelderode et le Théâtre contemporain, (actes du Congrès international de Gênes : 22-25 novembre 1978), Société internationale des études sur Michel de Ghelderode, Bruxelles, 1980, pp. 295-299. 
  • Juliette Decreus, Idées et Thèmes baudelairiens dans le théâtre de Michel de Ghelderode (article), in Michel de Ghelderode et le Théâtre contemporain, (actes du Congrès international de Gênes : 22-25 novembre 1978), Société internationale des études sur Michel de Ghelderode, Bruxelles, 1980, pp. 177-190. 
  • Raoul Mélignon, Michel de Ghelderode. Ses sources élizabéthaines et espagnoles du Siècle d'or (mémoire de licence), ULG, 1968, 100 pg. 
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