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Les goûts d'un auteur, ses affinités, ses attirances, sont-ils à mettre en relation avec son œuvre, l'éclairent-ils d'une manière quelconque ? On peut le supposer. Voici, au-delà de quelques évidences (Edgar Poë, Bruegel, Ensor,…) un modeste aperçu de ce qui, dans différents domaines, fascinait l'auteur de La Flandre est un songe.
On lira avec fruit le texte aussi intéressant que révélateur que Roland Beyen a rédigé sur la question : Les Goûts littéraires de Michel de Ghelderode, in Les Lettres Romanes, tome XXIV, Louvain, 1970, pp. 34-72 et 132-167.
Certains des goûts picturaux de Ghelderode qui, dans les années 20 inclinait plutôt du côté de la critique d'art, vont jusqu'à prendre place dans son œuvre. On y trouvera fréquemment des allusions explicites à Bruegel (c'est à Breugellande que se déroule l'action de La Balade du Grand Macabre, au coeur du paisible Brugelmonde que surgira ce Diable qui prêcha merveilles)… Dans Les Aveugles et La Pie sur le Gibet, Ghelderode s'amuse à animer les personnages des tableaux éponymes.
Il y aurait beaucoup à dire sur l'importance accordée par l'auteur à la peinture et à la musique. Rappelons qu'il se considérait davantage comme un "poète dramatique" que comme un dramaturge. Lire à ce sujet le très bel article de David I. Grossvogel : Le Bruit et la Couleur, in Marginales. Ghelderode, n° double 112-113, mai 1967, Bruxelles, pp. 33-35.
Comment ne pas évoquer sa fascination, pour ne pas dire sa vénération, pour James Ensor ? Lorsque, paraphrasant la gouaille et le style du peintre des Masques singuliers, Ghelderode lui adresse, en 1933, Le Siège d'Ostende, "Epopée militaire pour marionnettes", il espère s'en faire un ami. Il lui adresse une dédicace peu équivoque : "à Messire James Ensor, baron fameux et ostendois célèbre, qui a sans repos dénoncé par le burin, le pinceau et la plume les dérisions humaines et qui est parvenu dans sa noble vieillesse, en dépit des titres et des honneurs, à une hautaine sérénité, j'offre ce travail dans lequel paraît son ancêtre l'héroïque Sir Jaime, satiriste notoire et batailleur narquois, et se trouvent magnifiées les impérissables vertus de sa lignée. Son très humble serviteur don Miguel de Ghelderode, écrivain indigne."
L'échec de cette tentative de séduction ne l'a pas empêché de peupler quelques unes de ses pièces de personnages tout droit issus des toiles de l'illustre baron : Masques ostendais ou Un soir de pitié où l'on trouve des personnages portant nom "le masque fleuri, le masque au nez ardent, le masque de la Mort de gala",... Ce n'est par hasard que Roland Beyen titre l'un des nombreux articles consacrés à l'auteur : Le plus ensorien des écriuvains de Belgique et d'ailleurs : Michel de Ghelderode.
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