Farce pour rhétoriciens 
 
Rédaction : 1934 
Publication : 1935 (Tréteaux), 1943 (Houblon) et 1952 (Gallimard) 
Création : 18 février 1953, Lyon, Théâtre de la Comédie, m. sc. : Roger Planchon. 
 
 
 
Théâtre National de Belgique,  Bruxelles, 1979, m. sc. : Bernard De Coster 
Jean-Claude Frison, Suzy Falk (Dias © Nicole Hellyn/AML) 
 
L'insouciante population de Breugellande est en émoi : une comète est annoncée qui préfigure l'anéantissement. Le débonnaire Porprenaz voit soudain tomber d'un arbre un grand escogriffe qui se fait appeler Nekrozotar et qui le met à contribution comme cheval pour aller annoncer partout la fin des temps heureux. Ce duo baroque fait irruption chez Videbolle, sorte de philosophe astronome, qui vient de se faire rosser par Salivaine, sa redoutable compagne. A la cour du prince Goulave, monarque bégayant, totalement à la merci de ses ministres corrompus, on se prépare au désastre de la façon la moins appropriée qui soit. Nekrozotar sympathise avec quelques unes de ses futures victimes et se retrouve ivre mort. En fin de compte, l'apocalypse n'a pas lieu, et la mégère Salivaine, traînée devant le prince, finit par révéler sa liaison ancienne avec Nekrozotar revenu tirer spectaculaire vengeance. 
 
 
Extrait 
 
PORPRENAZ. - […] cette face osseuse ? Et ces orbites vidées ? Et cette mâchoire ? Je devine bien. Vous êtes quelqu'un de considérable et de trop peu considéré. Et tout l'honneur me revient. (Il se jette à genoux, pathétique.) Non, je ne dirai pas qui vous êtes. Que votre Seigneurie me pardonne. Qu'elle écoute ma supplique. Voyez mes pleurs ! Grand Sire, grand Macabre, grand justicier, grand échalas, grand moissonneur, j'embrasse vos semelles et je m'humilie et je vous demande de point détruire ni les bons hommes de Breugellande, ni leurs commères, ni leurs jeunes. Que je sois la victime expiatoire, l'holocauste, le pigeon du sacrifice ! Trucidez-moi et laissez-les vifs ! 
NEKROZOTAR. - Fauchés seront, trétous fauchés et périront. 
PORPRENAZ. - Ou ne fauchez que les mauvais. Laissez vivre les doux et les rieurs ! 
NEKROZOTAR. - Fauchés seront, les mauvais et les bons. 
PORPRENAZ. - Laissez les enfants ! 
NEKROZOTAR. - Fauchés seront, les enfants et leurs poux. 
PORPRENAZ. - Qu'au moins survivent les deux amants en leur tombeau, les amants si beaux, si chauds. 
NEKROZOTAR. - Fauchés seront, par la volonté du Très-Haut lassé dans sa patience. Je suis son exécuteur que rien n'attendrira. (Emphatique.) Je fus l'ange du Bien chassé du sein des villes et qui s'en alla gémir dans un sépulcre. Puis, je dormis d'un séculaire sommeil et m'éveillai l'ange du Mal, mon habit de bonté transformé en tunique de haine. Or, l'haleine des corrompus monta jusques au Ciel et fit suffoquer Dieu sous son baldaquin. Et Dieu, du poing droit, lança un brandon de vengeance. Je l'entends crépiter. Que tombe la nuit, la dernière, qui sera celle de mon entrée triomphale dans la cité hargneuse ! (Il frappe du pied.) Un cheval, qu'on me donne un cheval ! 
PORPRENAZ. - Monseigneur, les chevaux sont allés... se confesser. 
NEKROZOTAR. - Un cheval. 
PORPRENAZ. - Voulez-vous que j'aille voir alentour ? Peut-être trouverai-je un âne bienveillant. 
Il veut sortir. 
NEKROZOTAR. - Tricheur ! Le cheval, c'est toi - et l'âne, c'est toi encore. Tu porteras ma vieillesse. 
Il grimpe sur le dos de Porprenaz. 
PORPRENAZ. - Le cheval pourra-t-il boire en chemin ? 
NEKROZOTAR. - Déjà le soleil bâille, songe à se coucher. Aux quatre coins et pour que nul n'en ignore, je sonnerai mon approche. 
Il embouche la trompette et sonne le thème du " Dies irae ". 
PORPRENAZ, hennit de peur. - Hî... Hî... Hî... Hî... Hî !... 
NEKROZOTAR, rugissant. - Aiüe ! Fume, écume, renâcle, animal ! Place, place au Grand Macabre ! Ebranlez les bourdons, dressez les catafalques, allumez les cierges, trempez les goupillons, grincez des dents, pleurez du sang, mâchez des cendres, dévorez-vous, embrassez-vous, allez à gauche, allez à droite, allez en haut, allez en bas, brûlez l'encens, vessez vos âmes ; je vous apporte la joyeuse nouvelle : voici la fin des temps ! Le monde, le vieux monde va périr ! Hiüe ! 
PORPRENAZ, hennissant. - Hî... Hi... Hî... Hî... Hî ! 
 
(Théâtre II, Gallimard, Paris, 1952, acte I, premier tableau, pp. 44-45.)