Féerie dramatique en trois tableaux 
 
Rédaction : avril-mai 1927 
Publication : 1928 (La Renaissance d'Occident), 1943 (La Renaissance du Livre), 1952 (Gallimard) 
Création : 25 octobre 1929, Paris, Art et Action, m. sc. : Louise Autant-Lara. 
 
 
Théâtre Art et Action, Paris, 1929, m. sc. : Louise Autant-Lara 
 
Doux rêveur, anti-héros absolu, Colomb n'a aucune envie de découvrir l'Amérique mais s'y résigne. "Il faut partir car quel sort me réserve la société si je continue de faire des bulles, des bulles que je ne peux pas expliquer ?". Pendant le voyage vers le nouveau monde, Colomb rencontre une sirène, Visquosine, et son propre ange gardien, Azuret, qui le met en garde contre "les Jésuites [qui] ont des vues sur ces territoire futurs". Lorsque la vigie crie "Terre !", le voilier est envahi par les indiens de Montezuma, grands amateurs de whisky. Le chef aztèque révèle à Colomb ce que les oracles lui ont appris : les pseudo-civilisateurs seront en fait les exterminateurs de sa race. A son retour en Europe, Colomb est accueilli par des acclamations destinées… à Lindberg ! Il est décoré puis jeté en prison, victime de l'ingratitude et de la jalousie de la foule, des politiciens, des jésuites et des poètes fonctionnaires. Alors il choisit d'embarquer pour un autre voyage, "sans retour cette fois". Il se fige en une statue inaugurée par Buffalo Bill dans un show à l'américaine, brutal et criard, où il lui sera reproché de ne pas être citoyen des Etats-Unis et d'avoir découvert l'Amérique quatre siècles trop tôt. 
 
Extrait 
 
VIGIE. - Terre ! 
COLOMB. - Malheur ! Il ne dormait pas, le simulateur ! Dormeurs, c'est fait ! Tous sur le deck ! (Les matelots sautent hors de la fosse et se répandent dans le navire. Mais, sur le pont arrivent de partout des Indiens bariolés et criards : Une invasion de plumes magnifiques. Ils dansent sur le rythme et, surexcités, embrassent les matelots stupéfaits. Colomb monte sur le pont.) Qu'est-ce, cette figuration, ce carnaval ? Et la consigne, timonier ? 
MATELOTS. - Le Nouveau Monde ! Victoire ! 
COLOMB, dominant le tumulte et la situation. - Entendons-nous ? Messieurs les Sauvages ! Sommes-nous bien en Amérique ? 
MONTEZUMA, somptueux, se détache et salue. - En Amérique du Sud, exactement. 
COLOMB. - Je n'ai pas de chance. Vous parlez français ? 
MONTEZUMA. - C'est une langue élégante. Préférez-vous l'anglais ? 
COLOMB. - Il n'importe. Nous sommes faits pour nous comprendre. Que vous êtes décoratifs ! Mais dites-moi vos intentions ? Veniez-vous nous égorger ? 
MONTEZUMA. - C'est à vous que je demande cela. Nous fêtons pacifiquement votre arrivée, comme nous faisons chaque fois qu'un navigateur découvre l'Amérique. 
COLOMB. - Je ne suis donc pas le premier ? 
MONTEZUMA. - Hélas, Christophe Colomb ! 
COLOMB. - Et vous savez mon nom ? 
MONTEZUMA. - Les oracles me l'apprirent. Nous attendions votre visite. Les oracles ont révélé aussi qu'il y avait bézef de whisky dans la cale. 
COLOMB. - Je vous pressentais supérieurs et méprisant tout de notre civilisation. 
MONTEZUMA. - Quel rapport ? Nous méprisons votre civilisation mais non pas le whisky. Pas d'histoires, ami ! Vous venez nous civiliser, c'est dans l'ordre. Ce sera vite accompli, je veux dire que nous serons exterminés. Quelle importance ? C'est écrit dans nos plus vieilles pierres. Nous célébrons en vous les exécutants du Destin. Nous dansons notre mort parmi nos pyramides désuètes et nos soleils dédorés. Périssent nos plumes et nos sagesses millénaires ! Comprenez-vous ? Le whisky nous est nécessaire pour désespérer mieux. 
COLOMB. - Vous exterminer, beaux hommes de mardi gras ? Vous me paraissez être d'excellents types, très fins mais un peu pessimistes. Grand chef, je t'amène en Europe. 
MONTEZUMA. - Merci, cher barbare. Tu y retourneras seul. Je veux mourir sous les décombres de mon empire. Ma race est finie, et ma dynastie. Place aux archéologues ! 
COLOMB. - Je veux partager vos plumes et votre mort dansante. 
MONTEZUMA. - Vain désir ! La mort, c'est une vocation. Whisky ! 
LES INDIENS. - Whisky ! Whisky ! 
Des matelots remontent de la cale chargés de flacons qu'ils distribuent. Tous boivent. 
 
(Théâtre II, Gallimard, Paris, 1952, deuxième tableau, pp. 173-175.)