Cie du Myrmidon,  Paris, 1949  m. sc. : André Reybaz  (Photo © Agence Bernand, doc. AML)

Tragédie-bouffe en un acte    Rédaction : 1936-1937 (daté par l'auteur : 1929)  Publication : 1943 (Houblon), 1950 (Gallimard)  Création : 11 juillet 1949, Paris, Compagnie du Myrmidon, m. sc.: André Reybaz.

Jan in Eremo, évêque de Lapideopolis en Flandre, vient de rendre l'âme. Alors que la foule assemblée devant le palais réclame la dépouille du "saint", le clergé bâfre devant la chambre mortuaire pour fêter sa joie d'être enfin délivré de celui qui dénonçait leur hypocrisie. Soudain, la porte s'ouvre et l'on découvre Jan in Eremo debout au pied de son lit de mort. Affolés, les prêtres prennent la fuite. Intervient alors Vénéranda, la mère de l'évêque. Elle lui fait cracher l'hostie qui, restée coincée dans son gosier, fut cause de sa mort. Ainsi délivré, l'évêque peut mourir en paix, accompagné par des éclairs, le glas et les grondements de la foule. L'évêque auxiliaire, Simon Laquedeem, a récupéré l'hostie empoisonnée par ses soins, et en fait communier Vénéranda qui meurt sur le champ. Neuf bouchers font alors irruption qui emmènent le corps de l'évêque. S'ensuit une scène d'hystérie libératoire et hautement scatologique.    Extrait    SIMON LAQUEDEEM. - Ces funérailles... Ho, ho ! Voir ça !... Qu'ils investissent la cathédrale, ils viendront vite nous chercher !... Seule l'Eglise enterre... (Un silence. Et soudain, l'auxiliaire plie les genoux et chancelle.) Aye-maye !...  REAL-TREMBLOR, se précipite pour soutenir Laquedem. - Monseigneur ?...Vos intestins?...  SIMON LAQUEDEEM, repousse Real-Tremblor. - Damnation !... (Les prêtres se sont avancés et font cercle - l'auxiliaire se tord sur place.) Aye - maye !...  Un long frisson le secoue.  KRAKENBUS. - Va-t-il crever ?  SODOMATI. - Dans ce cas, je crois en Dieu !  Mais Laquedeem, qui venait de perdre son équilibre, se redresse de toute sa taille.  SIMON LAQUEDEEM. - Délivrance !  KRAKENBUS. - Délivrance ! Le cadavre dehors...  CARNIBOS. - Reste l'odeur, pouah ! (Il se bouche le nez.)  SIMON LAQUEDEEM. - L'odeur de la Mort !  SODOMATI. - Croyez-vous ?  Carnibos disparaît par le fond.  SIMON LAQUEDEEM. - En vérité, ça ne sent pas bon !... Je dis l'odeur de la Mort ! Les morts puent.  REAL-TREMBLOR. - Les vivants aussi.  SIMON LAQUEDEEM. - En vérité, en vérité... ça pue ! (Il rit grassement. Revient Carnibos qui balance un encensoir fumant.) Parfait ! Encense !... De l'encens !... Beaucoup d'encens !...  CARNIBOS, balançant l'encensoir, avec majesté. - J'encense !  SIMON LAQUEDEEM. - Ouvrez le balcon ! Que dis-tu, Pikkedoncker ?  DOM PIKKEDONCKER. - Caca !...  Les rires cascadent. - Les prêtres se reniflent l'un l'autre comme des chiens.  SIMON LAQUEDEEM. - Caca ? Qui ?  DOM PIKKEDONCKER. - Pas moi ! Lui !... Et vous, Monseigneur !.. Caca !...  Le rire panique se déchaîne, et cette hilarité s'accompagne de bourrades et de gesticulations simiesques. Les prêtres saisis d'une joie frénétique, sautillent bouffonnement dans les nuages d'encens, répétant sans arrêt : "Caca !... caca !..."  SIMON LAQUEDEEM, tonitruant. - Les porcs !... Ils ont chié plein leur soutane !...  Il s'accroupit - robe troussée - son masque rabbinique exprimant une démoniaque félicité - tandis que descend lentement le rideau sur ces fastes d'enfer.    (Théâtre I, Gallimard, Paris, 1950, scène XVII, pp. 312-313.)