Vaudeville attristant en trois actes, neuf tableaux et un épilogue. 
 
Rédaction : 1929 
Publication : 1934 (Le Vrai), 1943 (Houblon), 1953 (Gallimard) 
Création : 22 avril 1930, Saint-Trond, Vlaamsche Volkstooneel, m. sc.: Renaat Verheyen. 
 
 
 
 
Théâtre du Nouveau Monde, Montréal, 1960, m. sc. : Jean-Louis Roux. (Photos © Henri Paul, doc. AML)
 
Pantagleize est un doux rêveur. En répétant innocemment la phrase banale "Quelle belle journée !", il déclenche, sans s'en douter, une révolution. Entraîné malgré lui dans une action qui le dépasse et à laquelle il ne comprend rien, il ramène au Comité révolutionnaire le trésor enfermé dans la banque et qu'un général stupide, se méprenant sur sa réelle identité, lui a remis. Il finit par se faire arrêter par la police secrète et passe en Conseil de guerre en même temps que les révolutionnaires qu'il a côtoyés. Tous seront condamnés à mort et exécutés. 
 
Extrait 
 
PANTAGLEIZE. - On m'interpelle ? C'est curieux comme je suis soudain populaire. Voilà. On trouve une phrase bête, on la lance, et on devient un auteur célèbre. Parfaitement. Oui, c'est moi, camarades. Je vais bien, merci. L'homme ? Voici l'homme. (A la foule invisible :) Je veux dire : me voici... (Il regarde le ciel.) Ce n'était pas une blague. Le soleil défaut ! (Les grondements croissent.) Il faudrait allumer des projecteurs. Que vois-je ? Un avion qui tourne autour du soleil ? Quel oiseau bizarre ! D'augure bon ou mauvais ? (Les musiques recommencent.) Ils joueront de la musique, tant et plus. C'est un cortège d'ombres qui défilera. Oh ! oh ! Ces foules sont blafardes. D'où viennent-elles ? Elles attendent, elles trépignent sur place. Qu'attendent-elles ? Elles vont tout submerger. (Il se retourne.) Je vais ailleurs... 
BAM-BOULAH, haletant. - Reste ! L'éclipse ! 
La lumière baisse. 
PANTAGLEIZE. - Oh ! je n'ai pas peur. Mais les foules ont peur. C'est visible. Et vraiment, on a la sensation que le monde pourrait bien finir. Tout devient obscur. Il faudrait avoir le cœur de rassurer ces bonnes gens, de démentir ce que disaient les gazettes, pour une fois qu'elles semblent dire la vérité. Je peux toujours montrer au public que moi, je m'en moque. Pourquoi pas ? (Les musiques approchent. Pantagleize se met à danser.) Voyez comme je me moque de l'éclipse. Je danse. Dansez, peuple ! (Les drapeaux noirs passent lents derrière le mur de l'esplanade. Cris, rires, menaces, huées.) Ha ! ha ! Approchez donc, foules sans courage. Ne regardez pas ce soleil comateux. Il reviendra bien de sa syncope. Cette éclipse, c'est un complot arrangé par les journalistes pour faire de gros tirages. La fin du monde ? Et après ? Que vous êtes naïfs ! Vous voilà groupés par milliers, et vous avez peur ? Le ciel ne s'écroulera pas, j'en réponds ! (Aux astronomes :) Ça prend. Je suis pareil à un orateur. On m'écoute. La multitude s'est tournée vers moi. Un succès, Messieurs. Il faut continuer, leur sortir des phrases choisies, les tenir en haleine. Et voilà mon destin : je suis celui qui rassura l'humanité en un jour fatidique. (Fier, il fait des gestes vers la foule. Les ténèbres viennent rapidement. Pantagleize gesticule à la façon d'un épouvantail.) Je parlerai. Je parlerai par altruisme. (Il enlace le réverbère.) Et voici ma tribune ! 
 
(Théâtre III, Gallimard, Paris, 1953, premier acte, tableau III, pp. 75-76.)